Nihonbashi est un lieu emblématique de la ville de Tokyo et du Japon tout entier. Ici en 1603, fut bâti le pont qui permettait de passer de l’est à l’ouest. Ce pont en bois traversant la rivière Edo est situé au point névralgique de la ville. Le marché aux poissons et toute sorte de commerces sont installés ici. Le premier grand magasin du Japon, Mitsukoshi, ouvre ici en 1683.
C’est le point d’origine des cinq routes majeures du pays, construites à l’époque Edo. Ce pont est le point de départ et d’arrivée des voyageurs transitant entre Edo (actuellement Tokyo) et Kyoto, la capitale impériale. Aujourd’hui encore le pont d’Edo est le centre géographique du Japon, le point zéro de la carte, toutes les distances de Tokyo à un autre point du pays sont mesurées depuis ce pont.
En gros, on peut dire qu’Edobashi, qui littéralement signifie le pont d’Edo, est le point de départ du Tokyo du commerce, des affaires et par la suite du Japon industriel. Nihonbashi, qui se traduit par le pont du Japon a donné son nom au quartier. Les deux termes sont employés indifféremment.
En 1911, un nouveau pont en pierres avec une structure métallique est construit à la place de l’ancien. A la fin de la deuxième guerre mondiale, les bombes américaines ont démoli tous les immeubles avoisinant mais le pont a tenu bon. Tokyo reste la capitale et le pont d’Edo en est le cœur.
Jusqu’à la fin des années 50, la circulation dans Tokyo est chaotique. La situation est générale dans tout le pays. L’infrastructure routière embryonnaire est sous-développée. En 1959, un plan national de construction d'autoroutes est lancé. L’annonce de la tenue des Jeux Olympiques de 1964 précipite la motorisation de la ville de Tokyo.
La capitale voit son réseau routier croitre de façon démesurée en quelques années. La construction de la "Metropolitan Expressway" est accélérée pour être inaugurée avant les Jeux Olympiques. La priorité est donnée aux tronçons clés permettant de véhiculer l’afflux de personnes entre l’aéroport d’Haneda, le centre-ville et le village olympique. Le point central se trouve être à Nihonbashi. Les autorités ont pensé à réaliser l’autoroute en sous-sol, mais le temps et les moyens manquants, il est décidé de construire la voie rapide au-dessus de la rivière et de la faire serpenter entre les immeubles.
Cette construction reflète tout l’empressement du gouvernement à passer dans l’ère industriellement développée, à l’image des Etats-Unis et de l’Europe. Comme si le Japon voulait passer de l’ère impériale au royaume de l’automobile avec un minimum de transition. Ce totem de béton représente le culte de l’automobile, symbole de la mécanisation moderne et indice de réussite sociale. Les automobiles, moteur de l’économie que le Japon s’efforce de vendre dans le monde entier, ont pris la ville d’assaut.
Au carrefour des routes et des civilisations, l’échangeur d’Edobashi symbolise la "Metropolitan Expressway" dans toute sa grandeur. Il est pour certains un emblème du progrès, reflétant la vitalité de la métropole, et pour d’autres, un immonde bétonnage figurant le triste devenir d’une cité moderne victime de son développement.
Il faut dire que l’ouvrage est colossal. Initialement il est prévu qu’une centaine de piliers de béton soient plantés dans la rivière pour supporter les 4 niveaux de routes. En adoptant une structure utilisée dans les anciens temples, seulement un tiers de ces piliers sont nécessaires. Une structure de cadre rigide en trois dimensions relie les piliers entre eux verticalement et horizontalement. Des poutres courbes sont développées. La structure métallique est soudée plutôt que rivetée.
Les technologies utilisées ici, ainsi que le béton précontraint sont largement employées dans la construction de la "Metropolitan Expressway", l’un des plus grands projets d’après-guerre du Japon. Ces procédés seront répétés un peu partout dans le pays, lors du développement du réseau routier national. Le nœud autoroutier de Nihonbashi n’est pas seulement un nouveau type de nœud de transport, mais aussi un « nœud » dans l'histoire de la technologie au Japon.
Le résultat est impressionnant, il suffit de regarder les images pour se rendre compte de l’impact d’une telle construction sur le quartier. Non seulement la vue historique sur le Fujiyama depuis le pont a disparue, mais les commerces avoisinant se retrouvent dans l’ombre. Les berges de la rivière qui étaient lieux de promenades agréables sont définitivement altérés. Le trafic fluvial est mort, rendant les quais obsolètes. La rivière a été polluée, l’eau stagne entre les piliers de béton et les boues biochimiques (hedoro) pullulent.
En 2004, une pétition citoyenne demande que l’autoroute soit enterrée et l’ouvrage de béton démoli, c’est le "Nihonbashi Revitalization Plan". La requête est approuvée en 2005 et les autorités promettent une étude de faisabilité dès 2017. Presque 2 km de route doivent passer en sous-sol. Le but annoncé est de démarrer les travaux après les Jeux Olympiques de 2020 pour un objectif à 2040. Dû à la pandémie mondiale, les Jeux ont lieu une année plus tard et le plan n’a pas encore démarré en 2022.
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Le pont original en bois, ici vers 1833 par Utagawa Hiroshige |
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Vue de Nihonbashi en 1836 par Keisai Eisen |
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Le nouveau pont de 1911, vers 1922 |
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La situation en 1946 |
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Construction de la "Metropolitan Expressway"
en 1963 |
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Nihonbashi dans les années 2000 |
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2010 |
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Projet de revitalisation du quartier pour 2040 |
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