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Nous sommes dans les années 80, les voitures japonaises sont bien faites, fiables et carrées. Les citadines n’ont pas de charisme. Leurs formes sont banales et se ressemblent toutes. Nissan ne sort pas du lot, Les Sunny et Micra sont aussi sexy que des cartons à chaussures.
Il est temps que ça change. Un concours interne est créé afin de rendre la Micra (March au Japon) un peu plus excitante. Plusieurs groupes de designers participent et 4 maquettes sont réalisées en 1984.
Prototype A : proposition des designers Nissan en interne. L'idée restera pour la future Nissan Prairie II de 1988.
Prototype B-1 : la deuxième équipe de designer est menée par Naoki Sakai. Après une étude de marché poussée, elle arrive avec deux propositions distinctes. B-1 est une petite auto avec des formes arrondies et deux yeux tout ronds, des caractéristiques qui tranchent avec la mode automobilistique de l'époque. De couleur jaune flashy, elle détonne sur le lot. Elle est délicieusement nostalgique et attrayante.
Prototype B-2 : le second véhicule émanant de l'équipe de Sakai est plus volumineux. Contrairement à la B-1 et son look rétro, B-2 est futuriste. Sa carrosserie monocorps rappelle plusieurs voitures en gestation à lépoque comme la Citroën AX, la Renault Twingo ou la Honda Today.
Prototype C : étude de style, nommée Nissan 1000, proposée par Paolo Martin, un maître du design ayant travaillé pour Michelotti et Bertone avant de devenir le responsable du style chez Pininfarina (Dino 206 C Berlinetta Competizione, Alfa Romeo P/33 Roadster, Sigma Grand Prix, Modulo, Peugeot 104, Beta Monte Carlo, Rolls Royce Camargue). Il occupe le même poste chez Ghia dès 1972 puis il ouvre son propre bureau de consulting en 1976. Il met ses compétences à disposition de nombreuses compagnies du monde entier.
Des quatre maquettes, B-1 est la plus originale. Elle intrigue par son language stylistique inovant. Je ne sais pas pourquoi elle arbore "EL" à l'arrière, correspondant à la Grèce. Personne ne sait vraiment si c'est une bonne idée ou non. Jun Shimizu, le responsable du style chez Nissan, désire obtenir l'avis du public. C'est décidé, un prototype doit être terminé pour le prochain salon de l'automobile de Tokyo, fin octobre 1985.
A l’origine du design de la B-1, un styliste externe, engagé comme consultant, Naoki Sakai, qui n’a jamais travaillé dans le domaine automobile. Né au lendemain de la guerre à Kyoto, Sakai fait des études d’art. C’est ensuite à San Francisco qu’il ouvre une boutique de T-shirts imprimés avec des motifs de tatouages traditionnels irezumi. Son business fonctionne bien, il se met à dessiner des objets, et fonde le studio de design industriel Water Design. Il comprend le fonctionnement de la mode et applique ses idées à toute sorte d’objets, de l’appareil photo au téléphone portable, en passant par des meubles. Lorsqu’il commence à travailler pour Nissan, il ne s’intéresse pas à l’automobile et n’a même pas de permis de conduire.
Il est perçu comme un étranger parmi les autres designers maison et proposes des concepts innovants. En partant de la maquette B-1, un prototype roulant est fabriqué entre février et juin 1985. Elle est bien au salon de Tokyo dans le but de tester la réaction du public. Elle se nomme Be-1 avec la signification implicite d’« être unique ». Au même salon, à quelques mètres de là, le prototype de la Nissan MID4, une sportive à moteur central et 4 roues motrices et directrices, est exposé. Contre toute attente, c’est la Be-1 qui attire la foule. L'engouement des visiteurs du salon convainc Nissan de la fabriquer en petite série.
Water Design se charge du développement mais Nissan n’a pas les ressources pour fabriquer l’auto artisanalement. On fait appel à Takata Kogyo, un partenaire commercial installé à Yokohama. Un atelier spécialisé y est aménagé par Nissan pour la construction de la Be-1.
Cet atelier est baptisé PIKE Factory, nom inspiré par la hallebarde du moyen âge portant la notion du "Fer de lance", une expression qui exprime un projet ou un groupe de personne avant-gardiste. Voici comment est née une fabrique d'automobiles singulière au sein de l'une des plus grande marque japonaise.
10 000 exemplaires de la Be-1 sont produits, puis suivent d'autres modèles tout aussi décalés. La Pao, la Figaro, la S-Cargo et la Rasheen. Toutes considérées comme des « retro styled cars ».
Les PIKE Cars ne sont pas badgées Nissan, signe d'affirmation de différence.
Elles ne sont destinées qu'au marché domestique japonais et, à part la Rasheen, sont volontairement fabriquées en séries limitées. Du fait du nombre restreint d'exemplaires, elles deviennent vite des objets de collection, voir de culte, et certaines exportations non-officielles ont lieu, notamment vers le Royaume Uni, volant à droite oblige. Aujourd'hui, on en trouve dans le monde entier.
La PIKE Factory ferme ses portes en 1991. La Rasheen qui arrive en 1994 est encore dessinée par Naoki Sakai et est fabriquée par Takata mais elle n’est pas considérée comme une vraie PIKE Car. Water Design continue son implication dans l'industrie automobile, notament en collaborant à des études de style pour adapter le design Renault au marché japonais. Une moto est imaginée par le studio, la Suzuki SW-1 en 1989. Sakai est impliqué dans le projet Will de Toyota en supervisant le design du premier modèle en 1999.
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Naoki Sakai, designer industriel |
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Nissan Be-1 Concept 1985 |
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T-shirts et Be-1 de Naoki Sakai |
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PIKE Factory 1987 |
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Nissan Pao Concept 1987 |
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Nissan Figaro Concept 1989 |
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PIKE Factory 1989 |
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Nissan S-Cargo Concept 1989 |
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Nissan Rasheen 1994 |
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