Ce nouveau modèle doit assoir Honda en position de constructeur automobile à part entière. Jusqu’à présent Honda a construit de petites automobiles comme les S800 et les Kei-car que sont les N360 et T360, mais aucun moteur de série n’arrive à un litre de cylindrée. Cette automobile doit concurrencer les berlines de la fin des années 60. La 1300 est une voiture familiale de taille moyenne dont le projet est lancé en 1967. Comme le marché est déjà bien occupé par les Corona, Capella et Bluebird, la 1300 doit se démarquer de la concurrence. Soichiro est persuadé qu’en jouant la carte de la performance et de la sobriété, son auto va être un grand succès.
L’une des grandes idées du patron est d’utiliser un moteur refroidi à l’air et non à l’eau comme le font les autres constructeurs. Selon lui, s’il faut refroidir l’eau avec de l’air, on doit pouvoir se passer d’eau et n’utiliser que l’air pour le refroidissement, comme les Porsche. Il en est de même avec son programme de Formule 1 où il exige à ses ingénieurs de développer un moteur sans liquide de refroidissement. Il va se confronter à son équipe du département de Recherche qui ne partage pas de son opinion. Un moteur sans circuit liquide de refroidissement nécessite un courant d’air forcé pour évacuer la chaleur. C’est faisable sur un petit moteur mono ou bicylindre de faible cylindrée, comme le T360 de Honda, mais sur un plus gros moteur, il est beaucoup plus difficile d’évacué la chaleur de manière suffisante et uniforme. Par manque d’échangeur air-eau, le moteur lui-même doit devenir échangeur de chaleur avec l’air ambiant. Cela nécessite un ventilateur et des protubérances en forme d’ailettes sur la surface du moteur. Le risque est d’avoir des parties bien refroidies et d’autres nettement moins, ce qui provoque des tensions et des déformations de la matière qui, à la longue, vont détériorer le moteur.
Soichiro s’en moque et presse les ingénieurs pour résoudre ces problèmes. D’ailleurs, il a beaucoup d’expectatives sur la nouvelle venue. Il la veut innovante et technologiquement avancée. En bref il veut réinventer la berline compacte de classe internationale à sa manière. Il n’a de cesse d’apporter de nouvelles idées durant sa conception. Il demande des modifications d’éléments à un tel rythme que la progression du développement en est entravée. Les ingénieurs doivent composer avec et les délais s’allongent C’en est au point que même lorsque la production débute, de nouvelles modifications voulues par Soichiro impliquent de démonter des voitures sorties de chaîne pour les mettre au goût du jour. Il paraît que 203 brevets ont été déposés lors du développement de la 1300.
Un premier prototype est terminé en juillet 1968. Il est soumis à différents tests dynamiques de performance et de conduite. Il s’avère que le problème majeur est la chauffe du moteur. Comme redouté, certains endroits atteignent une température critique et le risque de casse est inerrant.
Le moteur est couvert d’ailettes de refroidissement et un ventilateur est monté directement au bout du vilebrequin. Ce ventilateur est muni de pales courtes afin de réduire le bruit de soufflerie. L’air pulsé est forcé dans des conduites enveloppant le bloc et la culasse.
Un second prototype « de série » est officiellement présenté à la presse à l’Hôtel Prince Akasaka de Tokyo le 21 octobre 1968. Il est ensuite exposé au salon de Tokyo une semaine plus tard. Une version station-wagon est envisagée et est également sur le stand, elle ne sera pas produite en série. Après le salon, Soichiro n’étant pas satisfait avec le style, il fait modifier son design, ce qui repousse à nouveau la mise en production.
Le moteur développé est un 4 cylindres en ligne SOHC de 1298 cm3 refroidi à l’air. Il est nommé DDAC, pour Duo Dyna Air Cooling system. Duo parce que le bloc et la culasse sont tous deux coulés en alliage d’aluminium avec des ailettes de refroidissement. La culasse contient 8 soupapes commandées par un arbre à cames en tête et les chambres de combustion sont hémisphériques. La lubrification est devenue un autre moyen de refroidissement à exploiter. Le moteur est à carter sec, ce qui implique un réservoir d’huile séparé, il est hérissé d’ailettes de refroidissement.
Il y a deux motorisations proposées, la Série 77 est munie d’un simple carburateur Keisin de 36 mm. La remarquable puissance de 100 ch à 7200 t/min et le couple de 107 Nm à 4500 t/min impressionnent même le président de Toyota. La Série 99 dispose de 4 carburateurs du même type réunis sous une boîte à air commune. Le taux de compression est également augmenté pour atteindre 115 ch à 7300 t/min et 119 Nm à 5000 t/min. La zone rouge se situe à 8000 t/min et les performances correspondent à une Alfa Romeo Giulia GT 1600 Junior. La vitesse maximum est de 160 à 180 km/h. Le 0-100 km/h est effectué en 11,5 secondes. Ces performances sont remarquables pour l’époque et pour une telle cylindrée. La Toyota MarkII dispose de 100 ch avec un moteur 1,9 l. Le moteur de la Honda est monté transversalement en porte-à-faux avant et entraine les roues avant au travers d’une boîte manuelle à 4 rapports. La série 77 se différentie extérieurement de la série 99 par ses phares rectangulaires.
Honda va utiliser ce moteur dans une barchetta de can-am, la R1300. Celle-ci n’aura pas de succès en compétition.
Côté châssis, la suspension est indépendante aux 4 roues. A l’avant on trouve des MacPherson et les freins sont à disques ventilés, solution employée pour les modèles sportifs à l’époque. A l’arrière, la suspension est originale, des bras tubulaires jumeaux croisés s’étendent sur toute la largeur du châssis. Le bras de la roue arrière droite a son point de pivot attaché au côté gauche du châssis, et vice versa. Des ressorts semi-elliptiques conventionnels sont utilisés. Ce système assez unique garanti un centre de roulis plus bas. Les freins sont à tambour. Cette configuration de châssis ne laisse pas sentir que la voiture est une traction avant. La direction est à crémaillère.
L’habitacle est standard pour les voitures de cette catégorie, pas de grand luxe malgré les 4 types de finition proposés. Le tableau de bord a un design sobre, dans le style des voitures américaines avec une instrumentation complète. Le volant est fin et positionné relativement haut. La boîte à fusible est installée sous le tableau de bord et est amovible, permettant d’aisément vérifier un fusible grillé ou de la glisser dans sa poche comme moyen d’antivol.
Les dimensions extérieures correspondent à celle d’une Coccinelle, soit un peu petite pour l’exportation. Elle est lourde, une 1300 77 pèse 1740 kg. Le moteur complet, avec la boîte de vitesse et le réservoir d’huile pèse 179 kg. C’est un gros handicap, le bloc moteur étant positionné en porte-à-faux avant, la direction est lourde et la maniabilité est mise en défaut. Son comportement en courbe est critiqué, elle est sous-vireuse, malgré des pneus spéciaux à haute pression montés à l’avant.
L’auto est prête en mai 1969 et la production débute enfin à l’usine de Suzuka. Au salon de Tokyo de cette année est présenté le prototype du Coupe sous le nom de Honda 1300X. Il est en vente l'années suivante en tant que Coupe 7 (série77) et Coupe 9 (série 99) La carrosserie est distincte dans sa partie avant. Les panneaux latéraux ne sont plus formés d’éléments soudés ensembles manuellement comme sur la berline, mais ils sont pressés d’une pièce. Son poids est de 905 kg.
La 1300 est annoncée comme une voiture avec la puissance d'un 2 litres, le confort d’une 1500 et la sobriété d'un 1000 cm3. Malgré une publicité intensive des concessionnaires, les ventes ne décollent pas, la H1300 est chère, son moteur pèse lourd sur le train avant, usant prématurément les pneus. Du fait de son moteur pointu, elle nécessite une certaine habileté pour la conduire.
Le Clean Air Act qui est voté par le Sénat américain à la fin de l’année 1970 demande une réduction de la pollution que ce moteur ne peut pas accomplir. Le bras de fer qui dure depuis plusieurs années entre Soichiro et les ingénieurs doit trouver une issue. Une concertation du département de Recherche est menée pour expliquer l’enjeu qui est en cours à Takeo Fujisawa, le directeur adjoint de l’entreprise et ami du début de Soichiro. Si on persiste avec un moteur à refroidissement à air, on va prendre du retard par rapport aux autre constructeurs et Honda va se retrouver dans une situation difficile. Takeo qui ne comprend pas grand-chose à la mécanique décide de parler à Soichiro. Il lui explique qu’il doit choisir entre rester le chef du bureau de Recherche ou le dirigeant de la firme. Honda choisi de rester à sa position de directeur général, et de ce fait, consent à laisser les ingénieurs le soin de développer leurs projets.
De toute manière la 1300 ne se vend pas. Malgré la venue d'une boîte automatique et d'une nouvelle face avant sur la Custom, elle ne convainc pas la clientèle. Les magnifiques catalogues montrent la voiture évoluer dans des paysages occidentaux mais elle n’atteindra jamais l’Europe et encore moins les Etats-Unis. Sur les 106 491 exemplaires construits, il y a 45 000 Coupe dont 7881 Coupe 9. A peine 1058 autos sont exportées incluant 731 Coupe pour l’Australie, le reste est allé dans des centres d’évaluation Honda à l’étranger et dans quelque pays asiatiques voisins.
La Honda Civic est lancée en juillet 1972. La production de la 1300 prend fin en septembre et les ventes sont interrompues en novembre. En décembre, la 1300 devient 145. Elle garde l’aspect de son prédécesseur tout en optant pour des optiques rectangulaires. Son moteur est maintenant un 4 cylindres de 1433 cm3 à refroidissement liquide dérivé de la Civic. Vendue parallèlement à cette dernière, la 145 n’intéresse pas les acheteurs qui préfèrent le nouveau modèle, plus moderne et mieux adaptée au marché.
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Honda 1300 au salon de Tokyo 1968 |
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Honda 1300 Sedan (77) 1969 |
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Honda 1300 Coupe 1970 |
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Moteur Honda DDAC 1300 |
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Le premier exemplaire sort de l'usine de Suzuka en 1969 |
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Honda 1300 Coupe Custom |
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Honda 1300 , train avant |
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Honda 1300, suspensions arrière |
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Honda 1300 Coupe 9S Bathurst 1000 km 1971 |
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Honda 145 Coupe 1972 |
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